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Isabelle Auge (Montpellier, France). La polemique religieuse entre les Grecs et les chretiens de confessions latine, armenienne et jacobite au XIIå siecle, d'apres les traites conserves

Au XIIå siecle, sous la dynastie des Comnenes, la litterature de polemique religieuse, opposant les Grecs aux Chretiens d'autres confessions, est abondante. La situation politique explique en partie ce phenomene puisque Latins et Grecs se trouvent en contact, lors du passage a Constantinople des deux premieres croisades, contact prolonge du fait de l'installation durable des Latins en Orient, apres la creation de quatre Etats lors de la premiere expedition, ceci a peine un demi siecle apres la rupture de 1054 (L'historiographie recente tend a relativiser l'importance de la rupture de 1054. Parmi 1'abondante bibliographie traitant de cette question, on peut signaler JUGIE (M.), Le schisme byzantin. Apergu historiqne et doctrinal, Paris, 1941 et RUNCIMAN (S.), The Eastern Schism. A study of the Papacy and the Earsten Churches during the 11th and the 12th Centuries, Londres, 1970). La venue des Latins qui, traversant ou s'installant dans des territoires ou Armeniens et Syriaques de confession jacobite vivaient en nombre relativement important, se sont rapproches de ces derniers sur le plan dogmatique (le meilleur exemple a cet egard est le synode tenu a Jerusalem en 1141 par le legat du pape auquel assiste le catholicos armenien Grigor III (Cet episode est rapporte par Guillaume de Tyr: HUYGENS (R. B. C.) ed., Willelmi Tyrensis chronicon, Corpus Christianorum, continuatio medievalis, 63-63A, Turnhout, 1986, XV, 18, t. II, p. 699, et par un certain nombre de chroniqueurs armeniens, par exemple Samouêl d'Ani, Chronographie, Recueil des Historiens des Croisades, Documents Armeniens, t. I, Paris, 1869, p. 447-468, ici p. 449-450)) a pu aviver la controverse deja ancienne opposant les Grecs aux chretiens dits «monophysites», separes depuis une date difficile a fixer de maniere precise (Pour le cas des Armeniens, la rupture definitive serait a situer au VIIe siecle : voir en dernier lieu l' etude exhaustive de GARSOÏAN (N.-G.), L'Eglise armenienne et le grand schisme d'Orient, CSCO 574, subsidia 100, Louvain, 1999, en particulier la conclusion, p. 399-409).

Cette recrudescence des discussions est decelable dans les chroniques qui rapportent quelquefois la tenue de debats ou l'echange de missives. Dans certains cas, de telles mentions permettent de connaître l'existence de ces contacts, alors que les documents originaux ont ete perdus : ainsi, les negotiations datees de 1089 entre le pape Urbain II et l'empereur Alexis Comnene en vue d'une union sont uniquement rapportees par Geoffroy Malaterra dans son Histoire de Sicile (Geoffroy Malaterra, De rebus gestis Rogerii Calabriae et Siciliae Comitis, RIS V, ed. Pontieri, Bologne, 1928, livre IV, chapitre XIII, col. 1191-1192).

Nous avons choisi ici de nous interesser aux differents documents qui transcrivent des discussions dogmatiques ou liturgiques, quelle que soit leur forme. Le recensement de tels textes se revele assez delicat car, du fait de leur caractere souvent stereotype, ils ne sont pas toujours faciles a dater, d'autant que, dans certains cas, aucune allusion n'est faite aux circonstances historiques (Jean Darrouzes insiste sur ce type de difficulte lorsqu'il ecrit: «Un certain nombre d'opuscules produits par la controverse entre Grecs et Armeniens circulent dans les manuscrits grecs ; ils ont entre eux une grande parente, de sorte que l' impression de deja vu provoque une certaine indifference au texte et voile certaines particularites susceptibles d'interesser l'histoire.» (DARROUZES (J.), «Trois documents de la controverse greco-armenienne», Revue des Etudes Byzantines, 48, 1990, p. 89-153, ici p. 89.)). En selectionnant les textes avec la plus grande prudence, il est possible d'en retenir une trentaine, rediges soit par des Grecs et diriges contre les Latins principalement, les Armeniens et les Syriaques dans une moindre mesure, soit ecrits par ces chretiens de confessions latine ou «monophysite» et visant les Grecs.

Il semble interessant d'evoquer tout d'abord les circonstances de la redaction de ces textes, d'etudier ensuite leur forme et leur contenu, et enfin de montrer en quoi ils peuvent fournir quelques renseignements sur l'organisation concrete des «joutes» theologiques.

Les circonstances de la redaction des traites:

Les traites rediges dans un contexte de tensions:

Il convient d'evoquer tout d'abord les textes rediges non dans un contexte precis, mais destines a assister, a tout moment, les theologiens desireux de polemiquer.

Alexis Comnene, homme tres pieux au dire de sa fille et biographe Anne, qui insiste a diverses reprises, dans son kkkuvre, sur cet aspect de la personnalite de son pere, a lutte, sa vie durant, contre un certain nombre d'heresies, parmi lesquelles, par exemple, celle des Bogomiles. Les chroniqueurs, en particulier Michel le Syrien, nous le montrent egalement tres dur a l'egard des Armeniens et des Syriaques. Pour avoir a sa disposition les arguments susceptibles de 1'aider il a commandite, a une date indeterminee de son regne, un florilege patristique : celuici, qui porte le titre de Panoplie dogmatique, a ete compose par Euthyme Zigabene, un moine fort apprecie a la cour, mais mal connu puisque seule Anne Comnene donne quelques renseignements sur lui (L'edition de la Panoplie dogmatique se trouve dans PG, t. 130. Sur le personnage d'Euthyme Zigabene, voir la notice de DARROUZES (J.), Dictionnaire de Spiritualite, t. IV, Paris, 1961, col. 1725-1726 et JUGIE (M.), «La vie et les kkkuvres d'Euthyme Zigabene», Echos d'Orient, 15, 1912, p. 215-225). Cette æuvre d'Euthyme Zigabene sera reprise et completee, a la fin de la periode etudiee, par Nicetas Choniates dans son Tresor de lafoi orthodoxe (Ed. tres partielle dans PG, t. 139-140). En regie generale, ce sont donc des theologiens grecs qui se livrent a la compilation des citations patristiques. Cependant, a la fin de son regne, Manuel Comnene, qui souhaite mettre un terme aux dissensions entre Grecs et Latins, s'adresse lui a un theologien toscan, qui vit dans son entourage, afin que ce dernier lui fournisse une justification de la these latine. Le personnage, Hugues Etherien, qui, pour cette raison, avait ete convoque par l'empereur en Bithynie (Cela est rapporte par Leon Toscan, dans le dernier chapitre de son De haeresibus et praevaricationibus Graecorum . Ce texte se trouve dans DONDAINE (A.), «Hugues Etherien et Leon Toscan», Archives d'histoire doctrinale et litteraire du Moyen Age, 19, 1952, p. 67-134, ici p. 126-127), se livre volontiers a cet exercice apologetique, en redigeant un traite qui porte le titre de De sancto et immortali Deo (PL, t. 202, col. 227 et suiv).

Si les traites precedemment evoques ont ete composes dans le but de discuter, sans qu'aucune raison precise n'en soit a l'origine, parfois, la redaction de tels textes repond a un contexte beaucoup plus precis.

Le premier exemple a pour the&##226;tre l'île de Rhodes qui, pouvant faire office de base arriere pour aider les Croises, voit le passage, des la fin du XIå, d'un certain nombre de Latins. Ceux-ci, visiblement, cherchent querelle aux Grecs et, face a cette situation, Nicolas d'Andida redige un traite sur le probleme de l'utilisation, par les Latins, de pain azyme pour le sacrifice de l'Eucharistie (Extrait du texte dans DARROUZES (J.), «Nicolas d'Andida et les azymes», Revue des Etudes Byzantines, 32, 1974, p. 199-210, p. 207-210). L'attitude des Latins a donc entraîne la redaction de ce texte. Un cas similaire se retrouve peutêtre avec le traite intutile Sectes chretiennes (KHOURY (P.), Paul d'Antioche, evêque melkite de Sidon (XIIe), Recherches publiees sous la direction de l'institut des lettres orientales de Beyrouth, t. XXIV, Beyrouth, 1964, p. 188-202 pour la traduction. Edition dans la deuxieme partie. Sur l'auteur voir par exemple NASRALLAH (J.), Histoire du mouvement litteraire dans l'Eglise melchite du Ve au XXe siecle, contribution a l'etude de la litterature arabe chretienne, vol. III/1 (969-1250), Louvain-Paris, 1983, p. 257-269) de Paul de Sidon, ecrit en langue arabe. L'auteur, de confession melkite, est certainement natif d'Antioche et a ete promu evêque de Sidon au cours du XIIå siecle. Son traite, qui etudie les positions des Chretiens de confessions diverses, est probablement une reponse a la difference de traitement dont les communautes chretiennes orientales etaient l'objet de la part des Latins. Le theologien melkite se sent ainsi peut-etre oblige de rehabiliter ses coreligionnaires, places dans une position beaucoup plus precaire que celle des Jacobites ou des Armeniens, qui ont, contrairement aux Grecs, la possibilite de conserver leurs propres hierarchies ecclesiastiques en territoire latin (Voir par exemple RICHARD (J.), La papaute et les missions d'Orient au Moyen Age (XIIIe-XVe), Collection de l'ecole francaise de Rome, 33, 2e ed., Rome, 1998, p. 4-5). Nonobstant leur position incertaine en territoire sous domination latine ou encore musulmane, les melkites parvenaient parfois a impressionner certains chretiens d'autres confessions, voire a obtenir leur adhesion. C'est le cas par exemple d'un certain moine jacobite du nom de Rabban' Isho', auquel ecrit le theologien syriaque Denis Bar Salibi (Ce theologien syriaque a ete promu evêque jacobite de Marach en 1154: sur le personnage voir VAN DER AALST (P.), «Denis Bar Salibi polemiste», Proche Orient Chretien, 9, 1959, p. 10-23), pour lui enjoindre de pas ceder a l'attrait qu'exerce sur lui la liturgie melkite. Dans sa missive en forme de traite polemique, Bar Salibi, qui cherche a persuader le moine de rester fidele a sa confession religieuse, attaque de maniere acerbe la liturgie grecque.

Ainsi, tout au long du XIIå siecle, la cohabitation, dans une même region, de chretiens de confessions diverses, entraîne la redaction d'opuscules de controverse. De tels traites sont egalement rediges a l'occasion de la tenue de debats, par exemple lors de la venue a Constantinople d'occidentaux envoyes en mission diplomatique.

Les traites rediges a l'occasion de 1'envoi a Constantinople d'ambassadeurs occidentaux:

L'envoi, par les souverains occidentaux, d'ambassadeurs aupres de 1'empereur byzantin, a parfois occasionne des discussions. Le cas le plus net, a cet egard, est celui d'Anselme de Havelberg qui, a deux reprises, s'est rendu a Constantinople, afin de negocier une alliance entre 1'empereur byzantin et son homologue occidental. La premiere visite a lieu en 1136 alors qu'Anselme avait ete envoye aupres de Jean Comnene pour conclure une alliance entre lui et Lothaire III contre Roger de Sicile. Lors de cette mission diplomatique, l'envoye de 1'empereur a eu de nombreuses discussions avec les Grecs sur les questions de religion, si bien que 1'empereur byzantin decida, en accord avec le patriarche de Constantinople, d'organiser un debat public, lors duquel Anselme eut pour contradicteur Nicetas de Nicomedie (Il presente ainsi les circonstances: «Alors que je me trouvais dans la ville imperiale, que souvent les Grecs me posaient des questions et que, de meme, je leur en posais d'autres, il plut au pieux empereur Kalojean, il plut de même au patriarche de cette ville, homme religieux, qu'eût lieu une reunion publique»: d'apres la traduction francaise du livre II du dialogue donnee dans HARANG (P.), «Dialogue entre Anselme de Havelberg et Nechites de Nicomedie sur la procession du Saint-Esprit», Istina, 17, 1972, p. 375-424, ici p. 377-378). Anselme ne mit pas par ecrit le dialogue qu'il eut avec l'evêque byzantin immediatement, mais quelques annees plus tard, a la demande du souverain pontife Eugene III qui, ayant lui-même eu a polemiquer avec un evêque byzantin, emit le souhait de voir le texte des discussions de 1136 couche sur le papier (Edition dans PL, t. 188, col. 1139-1248. Le premier livre est traduit dans SALETSJ (G.), Sources chretiennes ¹118, 1966, pour la traduction du livre II, voir la note precedente. Au sujet des discussions d'Anselme avec les Grecs, voir EVANS (G.-R.), «Unity and diversity: Anselm of Havelberg as ecumenist», Analecta Praemonstratensia, 67, 1991, p. 42-52; RUSSELL (N.), «Anselm of Havelberg and the Union of the Churches», Sorbornost, I (2), 1979, p. 19-41 et II (1), 1980, p. 29-41). Une vingtaine d'annees apres sa premiere ambassade et son premier dialogue, Anselme est a nouveau envoye en Orient, cette fois par Frederic Barberousse. La encore le but de l'ambassade est la volonte imperiale de se rapprocher de Manuel Comnene, cette fois en arrangeant une alliance matrimoniale : Frederic souhaitait epouser Marie, la fille du sebastocrator Isaac. A cette occasion, Anselme entame une discussion theologique avec Basile d'Achrida, archevêque de Thessalonique (Traduction allemande dans SCHMIDT (J.), Der Basilius aus Achrida, Erzbischofs von Thessalonich bisher unedierte Dialoge, Münich, 1901).

Par deux fois l'envoye imperial a donc soutenu un debat avec des theologiens byzantins, alors qu'il etait envoye pour negocier une alliance entre 1'empereur d'orient et celui d'occident. Bien que le but premier de sa venue a Constantinople n'ait eu aucun rapport avec les problemes religieux, les discussions nees lors de sa rencontre avec des eveques ou des theologiens grecs ont suscite la tenue de debats plus formels, et la redaction de traites. Il existe cependant des cas ou les envoyes ont pour mission de tenter de parvenir a une union sur le plan religieux.

Les dialogues officiels:

Le premier cas recense concerne encore le debat entre l'Eglise grecque et l'Eglise latine : il s'agit des discussions qui ont eu lieu en 1112, a l'occasion de la venue d'une ambassade romaine a Constantinople. Celle-ci a ete precedee d'un echange epistolaire entre le pape Pascal II et l'empereur Alexis Comnene, dont l' initiative revient a ce dernier. La reponse du pape a l'empereur, qui est conservee, montre que Pascal II n'etait prêt a aucune concession, notamment pour ce qui concerne la question de la primaute romaine (TAUTU (A.-L.) ed, Pontificia commissio ad redigendum codicem iuris canonici orientalis, Pontes series III, vol. 1, Acta romanorum pontificum a s. Clemente I (a.c.90) ad Coelestinum III (kkk 1198) , Le Vatican, 1943, p. 797. La traduction se trouve dans CHALANDON (F.), Essai sur le regne d'Alexis Ier Comnene, Paris, 1900, p. 262-263). L'ambassade du pape une fois arrivee a Constantinople, les debats, qui mettent aux prises les theologiens latins et leurs homologues grecs sur une serie de points controverses, peuvent s'ouvrir. L'un des theologiens latins les plus influents se trouve être un certain Pierre Grossalanus (Ce personnage, qui s'est mis en avant, ne faisait partie qu'officieusement de la nombreuse ambassade envoyee a Constantinople par Pascal II: voir DARROUZES (J.), «Les documents byzantins du XIIe siecle sur la primaute romaine», Revue des Etudes Byzantines, 23, 1965, p. 42-88, ici p. 51 et GRUMEL (V.), «Autour du voyage de Pierre Grossalanus archevêque de Milan a Constantinople en 1112», Echos d'Orient, 32, p. 22-33), qui developpe devant l'empereur la question du Filioque et rapporte la teneur de son discours dans un traite, le De processione spiritus sancti contra Graecos (PG, t. 127, col. 911-920. Voir egalement AMELLI (A.), «Due sermoni inediti di Petro Grosolano, arcivescovo di Milano», Pontes Ambrosiani, 4, 1933, p. 6s). Côte grec, plusieurs des theologiens qui prirent part au debat sont connus, meme s'il est impossible d'identifier de maniere formelle les sept theologiens auxquels Grossalanus dit s'etre oppose. La participation de certains personnages est indubitable, puisqu'ils ont laisse des traites a l'issue des debats: il s'agit d'Eustratios de Nicee (Edition du traite dans DEMETRACOPOULOS (À.), 'Εκκλησιαστικη βιβλιθηκη, Leipzig, 1866, repr. Hildenheim, 1965, p. 84-99 ; voir DARROUZES (J.), op. cit., p. 57-60), Jean Phournes, protos du monastere du mont Ganos (Edition dans DEMETRACOPOULOS (A.), op. cit., p. 36-47) et Nicetas Seides (GAHBAUER (R.), Gegen den primat des Papstes. Studien zu Niketas Seides: Edition, einführung, Kommentar, Munich, 1975, texte p. 1-78). Le discours de Jean Phournes, qui a ete prononce devant l'empereur Alexis, le saint synode et le senat, est certainement la reponse officielle faite par les theologiens grecs apres concertation (GRUMEL (V), op. cit., p. 27-28). Concernant les autres participants grecs, on ne peut qu'emettre des hypotheses puisque les traites conserves ne portent aucune mention des circonstances dans lesquelles ils ont ete rediges: Jean d'Antioche et Jean de Claudiopolis, auteurs tous deux d'un traite sur les azymes (Pour le traite de Jean d'Antioche, voir LEIB (Â.), Deux inedits byzantins sur les azymes au debut du XIIe siecle, contribution a l 'histoire des discussions theologiques entre Grecs et Latins, these complementaire de doctorat presentee a la faculte des lettres de l'Universite de Paris, Paris, 1924, p. 112-131. Celui de Jean de Claudiopolis n'est pas edite en son entier: on trouve des extraits dans PAVLOV (A.), Essais critiques sur l'histoire de la plus ancienne polemique greco-russe contre les Latins, Saint Petersbourg, 1878, p. 189-191. Ce texte est signale dans DARROUZES (J.), «Le memoire de Constantin Stilbes contre les Latins», Revue des Etudes Byzantines, 21, 1963, p. 50-100, ici p. 53-54), pouvaient ainsi tres bien se trouver a Constantinople en 1112. La venue d'une ambassade latine a Constantinople a donc suscite des debats theologiques pousses qui ont eux-mêmes entraîne la redaction de traites qui, abordant tous les mêmes points de controverse, permettent de cerner la teneur des discussions. A la fin de la periode envisagee, une discussion de meme type, qui entraine la redaction de nombreuses lettres et le deplacement de certains theologiens, est attestee cette fois entre les Grecs et les Armeniens. En fait, l'origine des discussions semble être plutôt une rencontre fortuite : Nersês Chnorhali, qui n'est encore que le coadjuteur de son frere, le catholicos Grigor III, s'est rendu dans la ville de Mamistra, a la suite d'un voyage entrepris dans la region pour servir de mediateur, a la demande de son frere, entre deux princes armeniens en guerre. Il rencontre la Alexis Axouch, le duc grec de Cilicie, qui est egalement un parent de Manuel Comnene et est sollicite par ce dernier afin d'aborder des problemes theologiques. A la suite de cette rencontre, Nersês redige une premiere profession de foi, qui est transmise a l'empereur et entraîne de longues discussions qui ne se terminent qu'en 1178. Ces debats se deroulent de maniere indirecte, par echange de lettres et de professions de foi, et de maniere directe puisqu'a deux reprises, l'empereur byzantin envoie aupres du catholicos, dans sa residence de Hromkla, un theologien grec, nomme Theorianos, qui soutient des debats avec les theologiens armeniens (Les sources relatives a ces discussions sont, pour la plupart, armeniennes: on possede en particulier le recueil des lettres echangees entre Grecs et Armeniens, compile par Nersês de Lambroun a la demande de son frere Het'oum, seigneur de Lambroun: NERSES CHNORHALI, Epître generate, Jerusalem, 1871. Les missives echangees entre Nersês Chnorhali et les Grecs ont ete traduites en latin dans CAPPELLETTI (J.), Sancti Nersetis Clajensis Armeniorum catholici opera, t. I, Venise, 1833. Il n'existe par contre aucune traduction de la correspondance posterieure a la mort de ce catholicos. Un certain nombre de lettres, ainsi que la relation, par Theorianos, de ses deux visites a Hromkla, sont egalement editees en grec: voir PG, t. 133, col. 119-298). Comme dans le cas de 1'ambassade latine de 1112, les discussions armeno-byzantines de 1165-1178 ont done pour but de trouver un accord sur le plan dogmatique et de parvenir a 1'union; elles sont impulsees par les autorites politiques et religieuses des deux parties, l'empereur, le patriarche de Constantinople et le catholicos armenien.

Ainsi, dans des circonstances precises ou a la suite de rencontres fortuites, des debats ont lieu entre les theologiens grecs et les chretiens de confessions differentes, latins, armeniens et, dans une moindre mesure, syriaques. Ces discussions entraînent la redaction de traites qui se presentent sous des formes differentes, largement dictees d'ailleurs par les circonstances de leur redaction et les buts poursuivis.

Forme et contenu des traites:

Les panoplies dogmatiques:

Deux recueils de ce type ont ete presentes en premiere partie: la Panoplie dogmatique d'Euthyme Zigabene et le Tresor de la foi orthodoxe de Nicetas Choniates. Ce type de texte se presente toujours de la même maniere: c'est un rappel des differentes heresies et des arguments a employer pour les refuter, sous forme de florilege scripturaire et patristique; en general, les auteurs reprennent, en les completant eventuellement, les ecrits de leurs predecesseurs. Ainsi, Euthyme Zigabene commence par faire mention d'heresies fort anciennes, qui n'ont plus cours a son epoque; seuls quelques chapitres de son ouvrage, du XXII au XXVIII, abordent les heresies recentes: armenienne, paulicienne, messalienne, bogomile. Le titre XIII, dans lequel 1'auteur s'interesse au cas des Latins, est la reprise d'un traite de Photius sur le Saint-Esprit (PG 102, col. 279-400). Nicetas Choniates ne fait pas montre de plus d'originalite puisqu'il refute, comme Euthyme Zigabene, l'ensemble des heresies de son epoque et des epoques anterieures. En fait, il se propose de reprendre l'kkkuvre du moine, et d'en donner une seconde edition en completant les notices, trop courtes, consacrees aux anciennes heresies. Son ouvrage, comme celui de son predecesseur a donc l'allure d'une compilation, destinee a donner des armes efficaces aux eventuels pourfendeurs d'heresies. Mais le plus souvent les redacteurs de traites de polemique s'interessent seulement aux divergences presentees par une des confessions chretiennes antagonistes.

Les traites polemiques et apologetiques:

Les traites de polemique sont les plus nombreux et concernent surtout les discussions greco-latines et greco-armeniennes. Le debat de 1112 a, par exemple, entraîne, comme on l'à rappele plus haut, la redaction de nombreux textes, souvent ecrits a posteriori, pour rendre compte devant l'empereur de la tenue des debats et le texte dû a Grossalanus lui-même est la transcription du discours qu'il a prononce devant l'empereur. Ces differents traites abordent souvent un seul des points controverses, la question des azymes ou celle de la procession du Saint-Esprit et seul Nicetas Seides retient douze sujets de divergence. Pour ce qui concerne les Armeniens, il existe un certain nombre de textes qui evoquent egalement les points de divergence, en particulier la question dogmatique centrale de la nature du Christ. Le premier est du a l'empereur Alexis Comnene en personne et a ete redige pour mettre par ecrit l'explication que l'empereur donna, lors de sa venue a Philippopolis, a un certain Tigrane avec lequel il polemiqua (Edition dans PAPADOPOULOS-KERAMEUS (A.), Αναλεκτα ιεροσολ υμιτικης σταχυο λογι ας, t. I, St Petersbourg, 1891, p. 116-123). Dans ce texte, l'empereur s'efforce de refuter toutes les erreurs des Armeniens, et aborde en particulier la question christologique. C'est alors qu'il est envoye aupres de la meme communaute de Philippopolis, ayant d'ailleurs affaire au même Tigrane, qu'Eustratios de Nicee, un des theologiens favoris d'Alexis Comnene, redige deux traites contre les Armeniens (Edition dans DEMETRACOPOULOS (A.), op. cit., p. 160-198). La vigueur de la polemique entraîne Eustratios sur la pente de l'heresie: en effet, avant qu'il ó ait mis la derniere main, selon ses dires, on lui subtilise ses ecrits et on en repand des copies. Ces traites contenant des propositions qui scandalisent les orthodoxes, les ennemis d'Eustratios parviennent, malgre les reticences de l'empereur, a le faire condamner, en avril 1117, a la deposition a vie. Le theologien grec, en voulant s'opposer a une christologie «monophysite», a donc certainement trop force le trait et a lui-même prete le flanc a l'accusation de nestorianisme (Un ecrit de Nicetas d'Heraclee contre Eustratios eclaire par exemple cette affaire: voir texte et traduction dans DARROUZES (J.), Documents inedits d'ecclesiologie byzantine, Archives de l'Orient Chretien, 10, Paris, 1966, p. 276-300. Il semble qu'un autre theologien grec, Nil de Calabre, ait eu des problemes identiques a ceux d'Eustratios. L'affaire n'est pas tres claire a cause d'une difficulte d'interpretation du passage de l'Alexiade qui rapporte l'evenement. Comme l'à montre Jean Gouillard, la traduction du passage de l'Alexiade est erronee (ed. et trad. francaise LEIB (Â.), 3 vol., Paris, 1937-1946, X, 1, t. II, p. 187-189 et GOUILLARD (J.), «Le synodikon de l'orthodoxie: edition et commentaire», Travaux et Memoires, 2, 1967, p. 1-298, ici p. 202-206). Loin de le taxer de monophysisme, il semble bien que ce soit un proces de tendance nestorienne qui ait ete fait a Nil). Les auteurs de traites de polemique abordent donc les questions dogmatiques ou liturgiques controversees, dans le but de mettre en evidence les erreurs de leurs adversaires. Parfois, ces derniers, sollicites par l'empereur, redigent des traites d'apologetique, des professions de foi visant a montrer leur parfaite orthodoxie. La premiere profession de foi armenienne, dans la periode consideree, a ete redigee par le catholicos Grigor III, en reponse a un prostagma de l'empereur Jean Comnene. Le texte porte sur les dogmes essentiels du christianisme, a savoir la Trinite et surtout l'Incarnation, et la partie consacree aux problemes liturgiques, si elle a jamais existe, n'est pas conservee (Edition du traite dans DARROUZES (J.), «Trois documents de la controverse greco-armenienne», Revue des Etudes Byzantines, 48, 1990, p. 89-153, p. 133-145). Les professions de foi elaborees dans le contexte des negociations des annees 1165-1178 sont plus completes. La premiere est celle qui a ete ecrite par Nersês Chnorhali a la demande d'Alexis Axouch (Voir Nersês Chnorhali, op. cit., p. 87-107, trad. p. 173-194. Cette profession de foi est egalement transmise, avec des variantes, par le chroniqueur armenien Kirakos de Gandzak: MELIK'-OHANDJANYAN (K.-A.) ed., Histoire d'Armenie, Erevan, 1961, p. 121-147): dans celle-ci Nersês defend l'Eglise armenienne contre un certain nombre de reproches qui ont certainement ete exposes dans un traite; si, pour certains griefs, Nersês cherche, ecritures a l'appui, a justifier la position armenienne, par contre, il refute entierement un certain nombre d'autres accusations, comme, par exemple, celle de ne pas honorer les saintes images. A la suite de cette premiere lettre Nersês envoie encore deux professions de foi, l'une en 1166 (Nersês Chnorhali, op. cit., p. 120-143, trad. p. 205-230. Voir BOZOYAN (A.), Documents on the Armenian-Byzantine ecclesiastical negociations (1165-1178), Erevan, 1995 (en arm., avec resume anglais), p. 43-45) et l'autre a l'issue du premier debat qu'il a eu avec Theorianos (Nersês Chnorhali, op. cit., p. 145-153, trad. p. 231-238. Le texte grec est donne par Theorianos, PG, t. 133, col. 212-224. Voir BOZOYAN (A.), op. cit., p. 50-54), cette derniere ne prenant en consideration que les questions dogmatiques. Lorsque Grigor IV succede aNersês Chnorhali, il explique aux Grecs qu'il professe une foi identique a celle de son predecesseur, et ce n'est qu'en 1176 qu'il envoie a l'empereur Manuel une lettre dans laquelle il aborde notamment la question de la non reconnaissance, par les Armeniens, du concile de Chalcedoine (Edition dans TER MIKELEAN (A.), «Le penchant des catholicoi du Moyen Age pour la paix ecclesiastique», Ararat, 26, 1893, p. 25-48. Voir BOZOYAN (A.), op. cit., p. 76-78).

Les traites et les professions de foi evoques dans ce chapitre, même s'ils sont parfois rediges a l'occasion de rencontres et de joutes theologiques, exposent la position de l'une des parties en presence, soit qu'elle defende son point de vue, soit qu'elle attaque celui de son adversaire. Il existe parfois des traites qui evoquent, sous forme cette fois de dialogue, les positions des deux protagonistes.

Les dialogues reels ou fictifs:

Lorsque des rencontres ont lieu, certains traites sont rediges sous forme de dialogues. C'est le cas par exemple dans 1'opuscule d'Anselme de Havelberg qui rend compte de son entrevue avec Nicetas de Nicomedie en 1136. Comme il a ete rappele plus haut, le theologien latin n'a consigne la teneur du debat par ecrit que quelques annees apres la tenue de celui-ci, a la demande du pape Eugene III. Cependant, il a pris soin de rendre le plus fidelement possible le contenu des propos echanges. Même s'il n'a pu transcrire 1'ensemble des arguments de maniere exacte, la forme adoptee donne a son ecrit une caution d'authenticite. Theorianos, lorsqu'il rapporte les debats qu'il a eu avec les theologiens armeniens en 1170 et 1172 agit de même, laissant tour a tour la parole aux differents protagonistes (PG, t. 133, col. 119-212 pour le premier dialogue; 239-298 pour le second). Dans ce dernier cas, la comparaison avec les autres sources, armeniennes et syriaques, laisse planer un doute quant a la veracite du temoignage relatif au premier dialogue puisque le delegue grec pretend l'avoir emporte en tout, ce que ne confirment pas les documents emanant de ses contradicteurs (Du fait de ces divergences, les historiens, s'appuyant sur l'un ou l'autre des temoignages, ont eux aussi adopte des points de vue differents, allant du rejet global de la narration de Theorianos, a son acceptation sans discussion. Pour le rappel de ses differentes positions, voir ZEKIYAN (Â.), «Un dialogue oecumenique au XIIe siecle. Les pourparlleers entre Catholicos St. Nersês Chnorhali et le legat imperial Theorianos en vue de l'union des Eglises armenienne et byzantine», Actes du XVe Congres international d'Etudes byzantines, IV, Athenes, 1980, p. 420-441, ici note 32, p. 432-433). Ainsi les theologiens, lorsqu'ils mettent par ecrit la teneur de discussions qui ont eu reellement lieu, prennent souvent, consciemment ou non, des libertes par rapport aux propos qui ont ete echanges. D'autres textes, qui se presentent eux aussi sous forme de dialogue, peuvent avoir un lien plus tenu encore avec la realite, voire etre totalement fictifs. L'exemple le plus significatif, a cet egard, est l'ouvrage redige par Andronic Kamateros (Andronic Kamateros, qui appartient a la famille des Doukas, est, de ce fait, un parent de l'empereur Manuel auquel il dedie d'ailleurs son ouvrage. Tenant 1'office de Grand Drongaire, il est un bel exemple de l' instruction theologique dont faisaient preuve au XIIe siecle les hommes d'Etat byzantins, même laïcs. Sur ce personnage voir la notice de BREHIER (L.), dans le Dictionnaire d'Histoire et de Geographie Ecclesiastique, t. II, Paris, 1914, col. 1800; BECK (H.-G.), Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich, Munich, 1959, p. 626-627), qui a pour titre l'Arsenal sacre. Il est la transcription de deux dialogues plus ou moins imaginaires, l'un entre l'empereur et les cardinaux romains, l'autre entre le meme empereur et un Armenien (Certains passages sont edites dans PG, t. 141, col. 393-613. Voir en dernier lieu CATALDI PALAU (A.), «L'Arsenale sacro di Andronico Camatero. Il proemio ed il dialogo dell' imperatore con i cardinali latini: origginale, imitazioni, arragiamenti», Revue des Etudes Byzantines, 51, 1993, p. 5-62, qui donne un resume en italien du dialogue entre les cardinaux et l'empereur, p. 16-19). Si Manuel a effectivement rencontre des cardinaux envoyes par le souverain pontife en 1166 (Plusieurs sources attestent la presence de cardinaux romains aupres de l'empereur en 1166: le futur catholicos armenien Nersês Chnorhali, par exemple, en fait etat dans une lettre envoyee a Manuel, dans laquelle il mentionne la presence de ces cardinaux, aupres de son frere Grigor III, et a la cour de Constantinople: voir Nersês Chnorhali, op. cit., p. 117, trad. p. 202), le dialogue, tel qu'il est rapporte par Andronic, est tres certainement une pure creation litteraire, comme le remarquait deja Jean Bekkos qui, dans le cadre des discussions de 1274, s'etatt penche sur ce texte (LAURENT (V.) et DARROUZES (J.), Dossier grec sur l'union de Lyon (1273-1277), Paris, 1976, p. 49). En fait, comme l'indique son titre, l'ouvrage, bien qu'organise sous forme de dialogue, a pour but de rassembler tous les passages des Peres sur lesquels s'appuie la doctrine grecque de la procession du Saint-Esprit; il se termine par une serie de syllogismes empruntes aux polemistes adversaires des Latins. La fin du regne de Manuel voit enfin la redaction d'un autre opuscule dispose sous forme d'entretiens fictifs, celui de Nicetas de Maronee (Sur ce personnage voir la notice de JUGIE (M.), Dictionnaire de theologie catholique, t. XII, Paris, 1931, col. 473-477 ; MAGDALINO (P.), The Empire of Manuel I Komnenos, Oxford, 1993, p. 38), intitule Six dialogues entre un Latin et un Grec sur la procession du Saint-Esprit (FESTA (N.), «Niceta di Maronea e i suoi dialoghi sulla processione dello Spirito Santo», Bessarione 28, 1912, p. 80-107, 266-286; 29, 1913, p. 104-113, 295-315; 30, 1914, p. 55-75, 243-257 ; 31, 1915, p. 238-246). S'appuyant sur un examen attentif de la patristique grecque, l'auteur conclut que la formule latine Filioque est tout a fait orthodoxe, et que, fondamentalement, Grecs et Latins sont d'accord sur la question de la procession du Saint-Esprit. Apres avoir fait cette importante concession, et comme pour se la faire pardonner par ses compatriotes, il demande aux Latins de respecter l'integrite materielle de l'ancienne formule de foi, de n'y rien ajouter, et par consequent, de supprimer l'addition du Filioque. Il admet donc, de ce fait, un accord total concernant le dogme, mais garde un attachement tres fort a la tradition, certainement conscient de l'importance accordee a celle-ci par ses coreligionnaires.

Quelle que soit la forme adoptee, les textes du corpus etudie permettent de cerner les elements principaux du debat; parfois ils nous renseignent egalement sur la maniere d'envisager les discussions et les modalites a mettre en kkkuvre pour parvenir a une union.

Le deroulement des discussions:

L 'organisation des «joutes» theologiques:

C'est, la encore, le compte-rendu fait par Anselme de Havelberg de sa rencontre avec Nicetas de Nicomedie qui permet de se faire une idee precise de la maniere dont etaient organisees les rencontres entre les theologiens de diverses confessions. Il ecrit ainsi, a propos de la reunion:

«On en fixa le jour, pour que tout ce qui se dirait de part et d'autre fut entendu de tous. De nombreux savants se reunirent donc dans le quartier dit des pisans, pres de l'eglise Sainte Irene, en latin, de la Sainte Paix, le 10 avril, si j'ai bonne memoire. On ð1àçà des huissiers, selon la coutume locale, on designe des arbitres, des notaires prirent place pour recueillir et fixer par ecrit tout ce qui se dirait de part et d'autre, et la foule curieuse, qui s'etait assemblee pour ecouter, fit le silence. Etaient egalement presents quelques Latins, parmi lesquels trois savants, experts dans les deux langues, et tres doctes lettres: un nomme Jacques, venitien; un nomme Burgundius, pisan, un troisieme eminent entre tous, celebre dans les deux nations pour sa connaissance des lettres grecques et latines, Italien de la ville de Bergame, se nommait Moïse; il fut elu a l'unanimite pour être l'interprets sûr des deux parties» (D'apres la traduction française de HARANG (P.), op. cit., p. 377-378).

D'apres ce temoignage, les discussions theologiques sont a l'honneur a Constantinople, et chacun se plait a poser des questions de dogme. Les pouvoirs, que ce soit le pouvoir laïque ou le pouvoir ecclesiastique, se preoccupent de ce probleme, et tentent de canaliser les debats, pour eviter que ceux-ci ne tournent a l'anarchie. Tout un personnel est present pour recueillir les propos echanges, ce qui d'apres Anselme est une habitude. Enfin, un vaste public assiste a la confrontation, preuve de l'interet general, atteste par d'autres sources.

Apres cette presentation, Anselme nous fait part des prolegomenes des debats, lors desquels les participants exposent leur maniere de concevoir les joutes qui vont suivre:

«Tout etant ainsi regie, des sieges ayant ete disposes en vis-a-vis, le silence impose, tous etant avides et impatients d'entendre, Anselme, evêque de Havelberg, dit: «Reverends Peres, je ne suis point venu pour chercher querelle, car, comme dit l'apôtre: «Point de querelles ni de jalousies» (Roml3, 13) et encore : «Si quelqu'un veut ergoter, tel n'est pas notre usage» (1 Co 11, 16); je suis venu pour m'enquerir et apprendre au sujet de ce qui est votre foi et la mienne, et cela surtout parce que tel a ete votre bon plaisir».

Nechites, archevêque de Nicomedie repondit: «Ce que tu as dit nous plaît, nous apprecions ton humilite, car dans le dialogue et dans l'humble echange la verite eclate plus rapidement que si nous nous disputions avec arrogance et volonte de vaincre» (HARANG (P.), op. cit.,p. 378).

Les deux contradicteurs ont l'intention, des le depart de debattre sur un ton irenique, seul moyen d'arriver a la verite. Cette volonte d'adopter une attitude raisonnable atteste tres certainement de la conscience qu'ont les personnages de la vigueur et de l'&##226;prete des debats habituels. Theorianos, quand il presente les controverses qui l'opposerent aNersês IV, insiste lui aussi sur la necessite d'une discussion calme et raisonnee, lors de laquelle les protagonistes, avant de se traiter mutuellement d'heretiques, doivent chercher a savoir si le probleme qui se pose n'est pas simplement un probleme de vocabulaire, de definition des mots (PG 133, col. 124).

Les solutions adoptees lors de ces rencontres plus ou moins informelles ne permettent pas de mettre un point definitif aux discussions et, pour obtenir un resultat irrevocable, il convient d'organiser des conciles.

La reunion de conciles:

Les discussions aboutissent parfois a la reunion de conciles: dans le cas de celles qui mettent en contacts Grecs et Armeniens dans les annees 1165-1178, seule la source etudiee, a savoir l'echange epistolaire recueilli par Nersês de Lambroun, permet d'avoir des informations. En effet, si aucune reunion pleniere ne permet la rencontre de tous les protagonistes du debat, les Grecs d'une part, les Armeniens ensuite, tiennent un concile. Dans une lettre datee d'octobre ou de novembre 1176, le patriarche de Constantinople, Michel d'Anchiale, rend compte de la tenue du concile grec: les actes n'en ayant pas ete conserves, aucun autre temoignage ne subsiste. Le patriarche expose la foi orthodoxe au sujet de la Trinite, puis, plus longuement, du Christ: il confesse alors deux natures, deux energies et deux volontes. Il renouvelle ensuite son desir de parvenir à l'union et demande au catholicos une profession de foi signee de lui et de l'ensemble des evêques (La lettre se trouve dans Nersês Chnorhali, op. cit., p. 175-180. Voir BOZOYAN (A.), op. cit., p. 80-82). Il donne enfin la liste de ceux qui ont ecrit cette lettre avec lui, c'est-a-dire des participants au concile. A P&##226;ques 1178, le catholicos se range a l'avis du patriarche et reunit ses eveques: a l'issue du concile il envoie deux lettres, adressee l'une a Manuel Comnene, et l'autre au patriarche (Nersês Chnorhali, op. cit., p. 181-192 et p. 192-199. Voir BOZOYAN (A.), op. cit., p. 82-89). La seconde surtout nous interesse puisque, adressee a l'autorite religieuse, elle insiste tout particulierement sur les questions dogmatiques et liturgiques. Grigor annonce tout d'abord qu'il a reçu la lettre du patriarche, s'en est rejoui, et a aussitôt reuni le synode demande afin d'examiner celle-ci, mais il deplore ensuite avoir alors appris le deces de Michel d'Anchiale. Lors du synode armenien, l'accord entre les deux Eglises est apparu aux yeux de tous. Apres ces remarques preliminaires le catholicos expose la profession de foi armenienne, en developpant les questions de la Trinite et des natures du Christ. Il confesse alors deux natures dans la personne du Christ en explicitant bien le mode d'union, la nature humaine etant soumise a la nature divine. Enfin, apparaissent les noms de tous les archeveques et evêques qui ont participe a la reunion. On peut noter, en suivant les remarques de Nersês de Lambroun (Nersês Chnorhali, op. cit., p. 200-201), que cette lettre et la precedente ne sont jamais parvenues a Constantinople. Le catholicos Grigor IV, conscient de l'urgence de la situation, avait h&##226;tivement prepare l'envoi d'un ambassade, qui dut, a cause des obstacles de la route, se retourner a hauteur de Cesaree. La seconde ambassade ne partira pas car on a alors appris, a Hromkla, la mort de l'empereur, survenue en septembre 1180. Les discussions armeno-byzantines ont donc entraîne la reunion de deux conciles, les protagonistes se communiquant les resultats par lettre. Même si une reunion pleniere n'a pu avoir lieu, comme le souhaitait d'ailleurs l'empereur, les decisions ont ete prises lors d'une assemblee formelle, representative du clerge dans son ensemble (Il faut tout de même remarquer que, pour ce qui concerne les Armeniens, les docteurs de Grande Armenie, se sont toujours farouchement opposes a toute idee d'union et n'ont pas participe a la reunion de 1178). Une telle solution est la seule envisageable lorsqu'il s'agit de modifier un point important du dogme. C'est ce que rappelle Nicetas de Nicomedie a Anselme de Havelberg a propos du Filioque:

«Mais cette formule: «L'Esprit-Saint procede du Fils», parce que jusqu'ici elle n'a jamais resonne publiquement dans les eglises des Grecs, ne peut ó être introduite immediatement, être enseignee publiquement ou ecrite sans danger de scandale du peuple et de certaines gens moins eclairees. Il faudrait qu'un concile general de l' Eglise orientale et occidentale soit celebre sous l'autorite du saint pontife romain, avec l'accord des tres pieux empereurs, concile dans lequel cette question et quelques autres necessaires a 1'Eglise catholique soient definies pour que nous soyons sûrs, nous et vous, de ne pas avoir couru en vain. Alors nous tous qui sommes chretiens des pays orientaux, avec la sainte Eglise romaine, et avec les autres Eglises qui sont en occident, d'un vkkku et d'un accord commun, sans danger de scandale pour les nôtres, volontiers nous accepterons, nous prêcherons, nous enseignerons et nous ecrirons que le Saint-Esprit procede du Fils, et nous deciderons que ce soit publiquement chante dans les eglises orientales» (HARANG (P.), op. cit., p. 423-424. Anselme est tout a fait d'accord sur ce principe puisqu'il repond: «Puisse-je voir cela, et meriter d'être present a un aussi saint concile, ou Pierre le prince des apotres, dans la personne de son vicaire le saint pontife romain, siegerait dans l'assembiee de toute 1'Eglise a lui confiee par Dieu, unie en une seule, et ou le Saint-Esprit, dont nous avons parle, descendant sur tous, et enseignant toutes choses alors et jusqu'a la consommation des siecles, ferait que nous soyons tous un dans le Christ avec Pierre et dans la foi de Pierre!»).

Tout au long du XIIå siecle des echanges ont donc lieu entre les chretiens de confessions differentes, pour tenter de parvenir a une union. Les nombreux traites polemiques conserves, nonobstant leur caractere stereotype et repetitif, permettent, mieux que d'autres sources, d'apprehender la maniere dont se deroulent les discussions, et la teneur de celles-ci. Ils ont ete rediges pour aider les personnes susceptibles de se lancer dans la polemique, ou a l'issue de debats, dans le but d'en rendre compte. Il faut, pour finir, insister sur le fait que ces discussions, même si elles repondent a une volonte d'union, ont bien souvent un arriere-plan politique marque. Il est en effet bien difficile, dans de nombreux cas, de discerner les causes profondes de la tenue des debats, surtout lorsque ceux-ci sont instigues par les autorites politiques ou religieuses. Ainsi, si Manuel Comnene engage de façon concomitante, dans les annees 1160, des debats avec les Latins et les Armeniens, n'est-ce pas aussi pour permettre aux chretiens, par une union religieuse, de mieux lutter contre les ennemis musulmans?

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